La question de l’accès au logement est régulièrement mise en avant dans le débat public insulaire. Alors que des maisons vides se délabrent dans les villages de l’intérieur, la population, majoritairement installée sur le littoral, doit supporter des loyers ou des prix d’achat de logements qui semblent déconnectés de leur situation économique, souvent modeste.
À cet égard, le territoire de la Balagne est exemplaire. Grand comme près de dix fois la ville de Paris, il compte à peine plus d’une vingtaine de milliers d’habitants. Peut-on imaginer qu’il soit difficile de loger une population aussi modeste dans un espace aussi vaste ?
Et pourtant, à en croire l’Observatoire des territoires [1], la majorité des communes de Balagne font partie d’un petit club de communes dont les loyers mensuels au mètre carré dépassent les 12,5€ (soit plus de 1000€ mensuels pour un logement de 80m2). Qui sont, en France métropolitaine, les autres membres du club ? Pour l’essentiel, de grandes agglomérations, alliant forte densité de population et dynamisme économique. En se limitant à la province, on peut citer Bordeaux, Lyon, Toulouse, Strasbourg (cf figure 1)…
Certes, les ménages pauvres, en difficulté de logement, ne manquent pas dans ces communes non plus. Mais la cause de leurs difficultés est claire : peu d’espace pour loger une population nombreuse, et une compétition renforcée par la présence de ménages aisés. L’inverse de la situation balanine semble-t-il.
Figure 1: Communes françaises dont les loyers au mètre carré dépassent les 12,5€ (source : Observatoire des Territoires)
Quid des prix de vente des logements ? D’après les données transmises par les notaires français à l’administration fiscale [2], les mètres carrés de logement se vendaient en moyenne à 2636€ en 2020 pour la France entière, contre 3457€ pour la Corse et… 4042€ pour la Balagne, soit plus de 53% de plus que la moyenne nationale (l’écart était déjà de plus de 40% en 2010).
[1] Des cartes interactives peuvent être produites sur le site de l’observatoire des territoires
[2] Les données utilisées pour les prix de ventes immobilières sont issues du fichier DV3F fourni par l’administration fiscale. Les prix au mètre carré sont calculés en divisant les surfaces totales vendues par la somme des prix de vente, ce qui donne le même poids à chaque mètre carré, et donc plus de poids aux logements les plus vastes dans le calcul de la moyenne.
À cet égard, le territoire de la Balagne est exemplaire. Grand comme près de dix fois la ville de Paris, il compte à peine plus d’une vingtaine de milliers d’habitants. Peut-on imaginer qu’il soit difficile de loger une population aussi modeste dans un espace aussi vaste ?
Et pourtant, à en croire l’Observatoire des territoires [1], la majorité des communes de Balagne font partie d’un petit club de communes dont les loyers mensuels au mètre carré dépassent les 12,5€ (soit plus de 1000€ mensuels pour un logement de 80m2). Qui sont, en France métropolitaine, les autres membres du club ? Pour l’essentiel, de grandes agglomérations, alliant forte densité de population et dynamisme économique. En se limitant à la province, on peut citer Bordeaux, Lyon, Toulouse, Strasbourg (cf figure 1)…
Certes, les ménages pauvres, en difficulté de logement, ne manquent pas dans ces communes non plus. Mais la cause de leurs difficultés est claire : peu d’espace pour loger une population nombreuse, et une compétition renforcée par la présence de ménages aisés. L’inverse de la situation balanine semble-t-il.
Figure 1: Communes françaises dont les loyers au mètre carré dépassent les 12,5€ (source : Observatoire des Territoires)
Quid des prix de vente des logements ? D’après les données transmises par les notaires français à l’administration fiscale [2], les mètres carrés de logement se vendaient en moyenne à 2636€ en 2020 pour la France entière, contre 3457€ pour la Corse et… 4042€ pour la Balagne, soit plus de 53% de plus que la moyenne nationale (l’écart était déjà de plus de 40% en 2010).
[1] Des cartes interactives peuvent être produites sur le site de l’observatoire des territoires
[2] Les données utilisées pour les prix de ventes immobilières sont issues du fichier DV3F fourni par l’administration fiscale. Les prix au mètre carré sont calculés en divisant les surfaces totales vendues par la somme des prix de vente, ce qui donne le même poids à chaque mètre carré, et donc plus de poids aux logements les plus vastes dans le calcul de la moyenne.
Quelle offre de logements ?
En juin dernier, s’est tenue dans le village de Pigna une table ronde regroupant des élus, des citoyens et des chercheurs, visant à poser un diagnostic et à identifier des solutions à ce problème dans la microrégion. S’il serait illusoire de penser que des rencontres de ce type permettent de faire émerger des solutions-miracles, elles possèdent l’immense vertu, grâce à la confrontation des points de vue et des expériences, de mesurer à quel point les politiques urbaines sont affaire de compromis entre objectifs légitimes.
Des prix élevés sont généralement le symptôme d’une offre de logements insuffisante ou d’une demande excessive. L’offre peut-elle être insuffisante dans un espace aussi vaste ? Les près de 1000 km² de surface des deux communautés de communes de Balagne sont trompeurs. Une grande partie d’entre eux sont soumis à des contraintes physiques (montagnes) ou légales qui les rendent inconstructibles.
Cette inconstructibilité, pour sa composante légale en tout cas, est une réponse à des enjeux de politiques publiques probablement assez consensuels : préserver le littoral, et conserver des espaces agricoles. Si la préservation du littoral est assurée par une loi nationale depuis près de quarante ans [1], la conservation des espaces agricoles est un des points forts du PADDUC, document spécifique à la Corse, qui définit quelques 100000 hectares d’Espaces Stratégiques Agricoles à l’échelle de l’île, que les communes ne peuvent rendre constructibles.
Ces restrictions ne sont pas des lubies. Un sondage réalisé en 2012 en appui de l’élaboration du PADDUC avait révélé l’attachement des Corses à la protection du littoral : 76,3% des personnes interrogées y jugeaient insuffisante la surface des espaces protégés. 65,4% d’entre elles jugeaient inefficaces les dispositifs légaux de protection de ces espaces.
Le même sondage révélait l’insatisfaction des Corses quant au faible développement de l’agriculture insulaire. 86,1% des personnes interrogées estimaient sous-exploitées les terres agricoles, et 92,6% d’entre elles soulignaient l’importance de la préservation des terres à forte potentialité agricoles.
Au-delà de ce qu’en pense l’opinion, la faiblesse chronique de l’agriculture corse est souvent soulignée comme une injustifiable anomalie. Selon la DRAAF [2], en 2018, les productions insulaires les plus emblématiques (châtaignes, olives, raisin et clémentines) occupaient péniblement une dizaine de milliers d’hectares, sur près de 200000 considérées comme agricoles, et qui, majoritairement, ne produisent que du fourrage. Si l’on peut raisonnablement douter que le manque de terres agricoles soit une cause majeure de ce retard, le gel d’une part substantielle des terres agricoles permet au moins de sécuriser la ressource première de ce secteur, dans la perspective d’un éventuel développement futur.
[1] La loi littoral est entrée en vigueur début 1986, sous le gouvernement de Laurent Fabius. Entre autres dispositions, elle inscrit dans le code de l’urbanisme l’inconstructibilité des terres situées à moins de 100 mètres du littoral.
[2] Le rapport de 2020 de la DRAAF présentant les chiffres clés de l’agriculture corse est disponible sur le lien suivant
Des prix élevés sont généralement le symptôme d’une offre de logements insuffisante ou d’une demande excessive. L’offre peut-elle être insuffisante dans un espace aussi vaste ? Les près de 1000 km² de surface des deux communautés de communes de Balagne sont trompeurs. Une grande partie d’entre eux sont soumis à des contraintes physiques (montagnes) ou légales qui les rendent inconstructibles.
Cette inconstructibilité, pour sa composante légale en tout cas, est une réponse à des enjeux de politiques publiques probablement assez consensuels : préserver le littoral, et conserver des espaces agricoles. Si la préservation du littoral est assurée par une loi nationale depuis près de quarante ans [1], la conservation des espaces agricoles est un des points forts du PADDUC, document spécifique à la Corse, qui définit quelques 100000 hectares d’Espaces Stratégiques Agricoles à l’échelle de l’île, que les communes ne peuvent rendre constructibles.
Ces restrictions ne sont pas des lubies. Un sondage réalisé en 2012 en appui de l’élaboration du PADDUC avait révélé l’attachement des Corses à la protection du littoral : 76,3% des personnes interrogées y jugeaient insuffisante la surface des espaces protégés. 65,4% d’entre elles jugeaient inefficaces les dispositifs légaux de protection de ces espaces.
Le même sondage révélait l’insatisfaction des Corses quant au faible développement de l’agriculture insulaire. 86,1% des personnes interrogées estimaient sous-exploitées les terres agricoles, et 92,6% d’entre elles soulignaient l’importance de la préservation des terres à forte potentialité agricoles.
Au-delà de ce qu’en pense l’opinion, la faiblesse chronique de l’agriculture corse est souvent soulignée comme une injustifiable anomalie. Selon la DRAAF [2], en 2018, les productions insulaires les plus emblématiques (châtaignes, olives, raisin et clémentines) occupaient péniblement une dizaine de milliers d’hectares, sur près de 200000 considérées comme agricoles, et qui, majoritairement, ne produisent que du fourrage. Si l’on peut raisonnablement douter que le manque de terres agricoles soit une cause majeure de ce retard, le gel d’une part substantielle des terres agricoles permet au moins de sécuriser la ressource première de ce secteur, dans la perspective d’un éventuel développement futur.
[1] La loi littoral est entrée en vigueur début 1986, sous le gouvernement de Laurent Fabius. Entre autres dispositions, elle inscrit dans le code de l’urbanisme l’inconstructibilité des terres situées à moins de 100 mètres du littoral.
[2] Le rapport de 2020 de la DRAAF présentant les chiffres clés de l’agriculture corse est disponible sur le lien suivant
A propos de la demande de logements
Une confusion fréquente dans le débat public consiste à penser que davantage de fermeté dans la protection de ces espaces naturels contribuerait à apaiser les tensions immobilières. Ce point est à la fois crucial et source de malentendus.
S’il est incontestable que les tensions immobilières se traduisent à la fois par des prix élevés et une tendance à l’artificialisation des sols, il serait en revanche illusoire de penser qu’en leur présence, s’opposer à l’artificialisation des sols contribuerait à tempérer la croissance des prix.
Ce que nous apprennent de concert la théorie économique et l’expérience, c’est que les chocs de demande immobilière se traduisent par un renchérissement des logements nettement plus marqué dans les zones dans lesquelles l’offre est faiblement disponible, que ce soit pour des raisons géographiques ou légales.
L’économiste Albert Saiz a montré, dans un article publié en 2010 [1], que les chocs de demande subis par les agglomérations américaines de 1970 à 2000 avaient eu des conséquences assez différentes selon la disponibilité des terres pour de nouvelles constructions. Les chocs de demande sont mesurés par l’évolution de l’activité économique, au plan national, des industries fortement représentées dans une agglomération donnée.
Ainsi, si une ville se spécialise dans l’automobile et que l’industrie automobile décolle au plan national, on dira que la ville en question connaît un choc de demande positif, avec probablement un afflux de travailleurs en quête d’emplois dans l’industrie concernée. Dans les agglomérations les plus contraintes au plan géographique ou les plus restrictives en matière d’octroi de permis de construire (San Francisco, New York...), les chocs de demande se traduisent essentiellement par des fluctuations des prix, avec une explosion des prix de l’immobilier lorsque les chocs sont positifs.
À l’inverse, dans les agglomérations les moins contraintes (Houston, San Antonio…), les chocs de demande se traduisent par un accroissement de la taille des villes, les prix demeurant modérés. Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas ici de prétendre qu’un urbanisme sans contrainte est une meilleure option qu’un urbanisme maîtrisé. Notre propos vise simplement à lutter contre l’idée magique selon laquelle la légitime protection de nos espaces naturels aurait comme second bénéfice d’empêcher la flambée des prix de l’immobilier. Définitivement, la politique, fût-elle urbaine, demeure une question de choix et de coûts.
Au-delà de la question de l’espace disponible, il est généralement admis que les difficultés de logement, en particulier lorsqu’elles concernent les plus modestes d’entre nous, appellent une réponse des pouvoirs publics, généralement sous forme de logements sociaux. Qu’en est-il du parc de logements sociaux en Balagne ? Celui-ci est extrêmement modeste. Le répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux permet d’obtenir un décompte par commune de ce type de logements.
Le résultat est sans appel. Alors qu’au niveau national les logements sociaux représentent 13,3% de l’ensemble des logements [2], ce taux n’est que de 6,1% pour l’ensemble de la Corse, et tombe à 3% pour la Balagne. Certes ce taux ne rend pas justice à certaines initiatives communales, qui mettent à disposition des ménages en difficulté des logements à loyer réduit, sans pour autant être recensés comme des logements sociaux. Mais il ne fait guère de doute qu’une convergence vers les taux nationaux contribuerait à alléger le fardeau des plus nécessiteux dans la microrégion.
Figure 2: Répartition des communes par taux de résidences secondaires en France métropolitaine, Corse et Balagne 'source : Filocom)
Si l’offre de logements est rendue faiblement élastique par une juste protection des espaces naturels et par une certaine frilosité quant au logement social, qu’en est-il de la demande ? Trois facteurs semblent contribuer à la stimuler au-delà de ce que pourraient suggérer la faible population et le faible dynamisme économique de la microrégion : les résidences secondaires, les meublés touristiques, et une préférence marquée des résidents pour l’habitat individuel.
[1] Saiz (2010), "The Geographic Determinants of Housing Supply", The Quarterly Journal of Economics (Vol. 25, N°3).
[2] Le nombre de logements par commune pour calculer ce pourcentage provient du recensement de la population.
S’il est incontestable que les tensions immobilières se traduisent à la fois par des prix élevés et une tendance à l’artificialisation des sols, il serait en revanche illusoire de penser qu’en leur présence, s’opposer à l’artificialisation des sols contribuerait à tempérer la croissance des prix.
Ce que nous apprennent de concert la théorie économique et l’expérience, c’est que les chocs de demande immobilière se traduisent par un renchérissement des logements nettement plus marqué dans les zones dans lesquelles l’offre est faiblement disponible, que ce soit pour des raisons géographiques ou légales.
L’économiste Albert Saiz a montré, dans un article publié en 2010 [1], que les chocs de demande subis par les agglomérations américaines de 1970 à 2000 avaient eu des conséquences assez différentes selon la disponibilité des terres pour de nouvelles constructions. Les chocs de demande sont mesurés par l’évolution de l’activité économique, au plan national, des industries fortement représentées dans une agglomération donnée.
Ainsi, si une ville se spécialise dans l’automobile et que l’industrie automobile décolle au plan national, on dira que la ville en question connaît un choc de demande positif, avec probablement un afflux de travailleurs en quête d’emplois dans l’industrie concernée. Dans les agglomérations les plus contraintes au plan géographique ou les plus restrictives en matière d’octroi de permis de construire (San Francisco, New York...), les chocs de demande se traduisent essentiellement par des fluctuations des prix, avec une explosion des prix de l’immobilier lorsque les chocs sont positifs.
À l’inverse, dans les agglomérations les moins contraintes (Houston, San Antonio…), les chocs de demande se traduisent par un accroissement de la taille des villes, les prix demeurant modérés. Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas ici de prétendre qu’un urbanisme sans contrainte est une meilleure option qu’un urbanisme maîtrisé. Notre propos vise simplement à lutter contre l’idée magique selon laquelle la légitime protection de nos espaces naturels aurait comme second bénéfice d’empêcher la flambée des prix de l’immobilier. Définitivement, la politique, fût-elle urbaine, demeure une question de choix et de coûts.
Au-delà de la question de l’espace disponible, il est généralement admis que les difficultés de logement, en particulier lorsqu’elles concernent les plus modestes d’entre nous, appellent une réponse des pouvoirs publics, généralement sous forme de logements sociaux. Qu’en est-il du parc de logements sociaux en Balagne ? Celui-ci est extrêmement modeste. Le répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux permet d’obtenir un décompte par commune de ce type de logements.
Le résultat est sans appel. Alors qu’au niveau national les logements sociaux représentent 13,3% de l’ensemble des logements [2], ce taux n’est que de 6,1% pour l’ensemble de la Corse, et tombe à 3% pour la Balagne. Certes ce taux ne rend pas justice à certaines initiatives communales, qui mettent à disposition des ménages en difficulté des logements à loyer réduit, sans pour autant être recensés comme des logements sociaux. Mais il ne fait guère de doute qu’une convergence vers les taux nationaux contribuerait à alléger le fardeau des plus nécessiteux dans la microrégion.
Figure 2: Répartition des communes par taux de résidences secondaires en France métropolitaine, Corse et Balagne 'source : Filocom)
Si l’offre de logements est rendue faiblement élastique par une juste protection des espaces naturels et par une certaine frilosité quant au logement social, qu’en est-il de la demande ? Trois facteurs semblent contribuer à la stimuler au-delà de ce que pourraient suggérer la faible population et le faible dynamisme économique de la microrégion : les résidences secondaires, les meublés touristiques, et une préférence marquée des résidents pour l’habitat individuel.
[1] Saiz (2010), "The Geographic Determinants of Housing Supply", The Quarterly Journal of Economics (Vol. 25, N°3).
[2] Le nombre de logements par commune pour calculer ce pourcentage provient du recensement de la population.
Les résidences secondaires
Commençons par les résidences secondaires. Celles-ci sont extrêmement nombreuses en Balagne. Le graphique 2 présente la répartition des communes métropolitaines, corses et balanines en fonction de leur pourcentage de résidences secondaires (calculé en utilisant les données FiloCom, fournies par la DGFip). Alors qu’une grande majorité de communes métropolitaines ne dépasse pas les 20% de résidences secondaires, plus de la moitié des communes corses et balanines en dénombrent plus de 40%.
Pour qui connaît la société corse, il est évident qu’il existe (au moins) deux catégories de résidences secondaires. Celles détenues par des gens du village qui travaillent en ville, et celles détenues par des vacanciers récurrents qui préfèrent passer leurs vacances dans leur propriété qu’à l’hôtel.
À cet égard, la situation de la Balagne n’est pas uniforme. Des règles de confidentialité nous interdisent de donner des détails chiffrés par commune, mais ceux-ci permettent de distinguer assez nettement des communes très rurales, avec un nombre élevé de résidences secondaires, mais souvent détenues par des personnes résidant en Corse, et des communes plus proches des zones d’attraction touristique, dans lesquelles les résidences secondaires sont essentiellement détenues par des personnes résidant hors de Corse.
Quoi qu’il en soit, cette présence très forte de résidences secondaires dans les communes de Balagne constitue une composante massive de la demande. D’autant plus massive que les revenus des personnes occupant des résidences secondaires sont nettement plus élevés que ceux des occupants de résidences principales, comme le montre le tableau 1.
Que les occupants de résidences principales aient un revenu moyen inférieur à ceux des résidences secondaires n’a rien d’étonnant en soi. Simplement, cette tendance est exacerbée en Balagne, avec un revenu plus faible qu’au niveau national pour les occupants de résidences principales, et plus élevé concernant les occupants de résidences secondaires.
Peut-on réguler le phénomène des résidences secondaires ? Jusqu’à une période assez récente, il existait bien une possibilité pour les communes d’appliquer une majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, mais seules étaient concernées les grandes agglomérations, excluant ainsi les communes de Balagne. Ce dispositif a-t-il été efficace dans les communes qui l’ont adopté ?
Une recherche menée avec un collègue de l’Université de Corse nous conduit à être sceptique sur cette question. Certes, le nombre de résidences secondaires a diminué suite à l’adoption de la majoration, tant en termes absolus qu’en comparaison avec des communes similaires n’ayant pas adopté la surcharge. Néanmoins, les prix de l’immobilier dans ces communes n’ont pas diminué.
Une analyse détaillée du comportement des ménages nous a poussé à estimer qu’au moins une part de la diminution des résidences secondaires provenait de comportements stratégiques dans les déclarations fiscales. Autrement dit, des ménages possédant deux résidences ont simplement interverti, dans leurs déclarations, les résidences principales et secondaires, de façon à échapper à la majoration. Dès l’année prochaine, le dispositif sera élargi, et certaines communes de Balagne, à l’instar de Calvi, ont annoncé vouloir l’appliquer.
Il ne fait guère de doute que cette surcharge sera bénéfique pour les finances des communes concernées, mais il est peu probable qu’elle suffise à détendre le marché immobilier. Non pas que le principe même d’une taxation des résidences secondaires ne puisse produire d’effet réel, mais le montant, plafonné à 60% du taux de base de la taxe d’habitation, est bien trop modeste pour avoir un impact significatif.
Pour qui connaît la société corse, il est évident qu’il existe (au moins) deux catégories de résidences secondaires. Celles détenues par des gens du village qui travaillent en ville, et celles détenues par des vacanciers récurrents qui préfèrent passer leurs vacances dans leur propriété qu’à l’hôtel.
À cet égard, la situation de la Balagne n’est pas uniforme. Des règles de confidentialité nous interdisent de donner des détails chiffrés par commune, mais ceux-ci permettent de distinguer assez nettement des communes très rurales, avec un nombre élevé de résidences secondaires, mais souvent détenues par des personnes résidant en Corse, et des communes plus proches des zones d’attraction touristique, dans lesquelles les résidences secondaires sont essentiellement détenues par des personnes résidant hors de Corse.
Quoi qu’il en soit, cette présence très forte de résidences secondaires dans les communes de Balagne constitue une composante massive de la demande. D’autant plus massive que les revenus des personnes occupant des résidences secondaires sont nettement plus élevés que ceux des occupants de résidences principales, comme le montre le tableau 1.
Que les occupants de résidences principales aient un revenu moyen inférieur à ceux des résidences secondaires n’a rien d’étonnant en soi. Simplement, cette tendance est exacerbée en Balagne, avec un revenu plus faible qu’au niveau national pour les occupants de résidences principales, et plus élevé concernant les occupants de résidences secondaires.
Tableau 1: Revenu des occupants de résidences principales et de résidences secondaires en France métropolitaine, Corse et Balagne (source Filocom)
France | Corse | Balagne | |
Résidences secondaires | 31245 | 35516 | 37481 |
Résidences principales | 15362 | 15050 | 14828 |
Ratio | 2,0 | 2,4 | 2,5 |
Peut-on réguler le phénomène des résidences secondaires ? Jusqu’à une période assez récente, il existait bien une possibilité pour les communes d’appliquer une majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, mais seules étaient concernées les grandes agglomérations, excluant ainsi les communes de Balagne. Ce dispositif a-t-il été efficace dans les communes qui l’ont adopté ?
Une recherche menée avec un collègue de l’Université de Corse nous conduit à être sceptique sur cette question. Certes, le nombre de résidences secondaires a diminué suite à l’adoption de la majoration, tant en termes absolus qu’en comparaison avec des communes similaires n’ayant pas adopté la surcharge. Néanmoins, les prix de l’immobilier dans ces communes n’ont pas diminué.
Une analyse détaillée du comportement des ménages nous a poussé à estimer qu’au moins une part de la diminution des résidences secondaires provenait de comportements stratégiques dans les déclarations fiscales. Autrement dit, des ménages possédant deux résidences ont simplement interverti, dans leurs déclarations, les résidences principales et secondaires, de façon à échapper à la majoration. Dès l’année prochaine, le dispositif sera élargi, et certaines communes de Balagne, à l’instar de Calvi, ont annoncé vouloir l’appliquer.
Il ne fait guère de doute que cette surcharge sera bénéfique pour les finances des communes concernées, mais il est peu probable qu’elle suffise à détendre le marché immobilier. Non pas que le principe même d’une taxation des résidences secondaires ne puisse produire d’effet réel, mais le montant, plafonné à 60% du taux de base de la taxe d’habitation, est bien trop modeste pour avoir un impact significatif.
Les meublés touristiques
Venons-en aux meublés touristiques. Mon collègue Sauveur Giannoni, présent à la table ronde, y a présenté ses travaux (et ceux de ses coauteurs) sur l’impact de la plateforme AirBnB sur le marché immobilier insulaire. Les résultats sont nets. L’explosion des logements AirBnB est, comme on pouvait s’y attendre, bel et bien corrélée avec la croissance des prix de l’immobilier. Selon les communes étudiées, l’impact d’une hausse de 10% des annonces AirBnB se traduit par un accroissement des prix de l’immobilier variant entre 0,6% et plus de 3%.
Mais les travaux de Sauveur Giannoni mettent également en lumière un effet peut-être moins intuitif : l’impact d'AirBnB sur les prix est plus marqué dans les communes initialement les moins touristiques. Pour rester sur des exemples balanins, le boom de la plateforme aurait eu un impact plus marqué dans des petits villages de l’intérieur tels que Lama, Manso ou Pietralba, que sur Calvi ou L’Ile-Rousse. Ainsi, l’effet de AirBnB ne serait-il pas simplement de renforcer la pression sur le marché de l’immobilier, mais également de diffuser cette pression depuis les zones les plus touristiques vers les petits villages de l’intérieur, qu’on aurait pu penser à l’abri des prix excessifs.
Mais les travaux de Sauveur Giannoni mettent également en lumière un effet peut-être moins intuitif : l’impact d'AirBnB sur les prix est plus marqué dans les communes initialement les moins touristiques. Pour rester sur des exemples balanins, le boom de la plateforme aurait eu un impact plus marqué dans des petits villages de l’intérieur tels que Lama, Manso ou Pietralba, que sur Calvi ou L’Ile-Rousse. Ainsi, l’effet de AirBnB ne serait-il pas simplement de renforcer la pression sur le marché de l’immobilier, mais également de diffuser cette pression depuis les zones les plus touristiques vers les petits villages de l’intérieur, qu’on aurait pu penser à l’abri des prix excessifs.
La préférence pour l’habitat individuel
Enfin, une caractéristique importante de la demande de logement mérite de ne pas être négligée, la préférence des résidents pour l’habitat individuel. Nous avons souligné, plus haut, que le prix des mètres carrés immobiliers était élevé en Corse en général, en Balagne en particulier.
Une observation plus fine des données révèle que ce sont les maisons individuelles qui expliquent l’essentiel de l’écart avec la moyenne nationale, alors que les appartements ont un prix correspondant à peu près à ce qu’on observe sur le continent (en 2020, le prix du mètre carré moyen en appartement était de 3607€ au plan national, de 3067€ en Corse, et de 3722€ en Balagne).
Ce déséquilibre dans la pression immobilière entre les différentes formes de logement interroge. Selon nous, il s’explique par une forme de rejet de l’habitat collectif, considéré par beaucoup comme un pis-aller ou un choix provisoire.
Il n’est pas question ici d’adopter une posture moralisatrice, ou de prétendre hiérarchiser les systèmes de valeurs. Mais on peut souligner un décalage entre, d’une part, les volontés de préserver les espaces naturels et d’utiliser les logements existants pour en tirer un revenu pour la saison touristique, et, d’autre part, l’érection de la villa avec jardin comme principal attribut de la réussite sociale.
Une observation plus fine des données révèle que ce sont les maisons individuelles qui expliquent l’essentiel de l’écart avec la moyenne nationale, alors que les appartements ont un prix correspondant à peu près à ce qu’on observe sur le continent (en 2020, le prix du mètre carré moyen en appartement était de 3607€ au plan national, de 3067€ en Corse, et de 3722€ en Balagne).
Ce déséquilibre dans la pression immobilière entre les différentes formes de logement interroge. Selon nous, il s’explique par une forme de rejet de l’habitat collectif, considéré par beaucoup comme un pis-aller ou un choix provisoire.
Il n’est pas question ici d’adopter une posture moralisatrice, ou de prétendre hiérarchiser les systèmes de valeurs. Mais on peut souligner un décalage entre, d’une part, les volontés de préserver les espaces naturels et d’utiliser les logements existants pour en tirer un revenu pour la saison touristique, et, d’autre part, l’érection de la villa avec jardin comme principal attribut de la réussite sociale.
En guise de conclusion
Résumons-nous. La Balagne est une microrégion peu peuplée, relativement pauvre, suffisamment attachée à ses espaces naturels pour refuser leur bétonisation, dans laquelle les logements sociaux sont rares, les logements destinés aux non-résidents abondants, et dont les résidents sont plus attirés par les maisons que les appartements.
Ce diagnostic suggère deux types de politiques : côté offre, prendre acte du déficit de logements sociaux et y remédier, côté demande, tenter de réguler la demande provenant des résidences secondaires et des meublés touristiques via des restrictions ou des taxes.
Mais qui peut penser qu’une telle régulation ne ferait que des gagnants parmi les résidents ? Les recettes engendrées par les locations de meublés touristiques profitent, au moins en partie, à des résidents, et bien qu’elles fassent, non sans raisons, grincer les dents des professionnels du tourisme, ce serait une grossière erreur de ne pas faire figurer leur diminution dans le décompte des coûts d’un durcissement de la politique touristique.
Soyons réalistes : s’il existait un remède qui ne fasse que des gagnants, au moins parmi les résidents, il aurait probablement déjà été administré. Mais au-delà des solutions purement économiques, comment ne pas interroger cette passion de nos contemporains pour l’habitat individuel mis en évidence plus haut ?
Sortant de notre domaine de compétence, risquons-nous à spéculer. On pourrait penser que l’air du temps soit à blâmer. Une époque d’individualisme exacerbé et de repli sur soi nous pousserait à fuir la vie en collectivité pour recréer, à l’échelle des villas et de leurs jardins, un sentiment d’appartenance que ne nous apportent plus la rue et la place du quartier ou du village. Mais l’urbanisme contemporain a-t-il vraiment œuvré pour qu’il en aille autrement ?
Qu’ils soient individuels ou collectifs, les nouveaux ensembles répondent souvent à la logique suivante : une municipalité décide d’autoriser la construction d’un ensemble de logements dans une zone jusqu’ici laissée en friche. Un promoteur privé s’occupe ensuite de l’aménager entièrement, y compris les espaces publics (chaussée, places de stationnement...).
Ceux-ci sont naturellement réservés aux riverains, et ne sont jamais pensés en continuité des rues existantes. Les quartiers nouvellement créés sont condamnés à la mono-fonctionnalité, avec une vie sociale réduite à une salutation polie à travers les fenêtres de la voiture de voisins qu’on connaît à peine.
Dans les centres anciens, les inconvénients de la vie en appartement sont compensés par la proximité de lieux de sociabilité. Est-ce encore le cas dans les nouveaux quartiers ? Si non, comment s’étonner que nos contemporains préfèrent l’option individuelle ? Et quelle fatalité empêche notre urbanisme de recréer des rues, des places publiques et de la multifonctionnalité, afin de redonner le goût du logement collectif ?
C’est une question qu’on ne pourra pas éviter si l’on espère sérieusement rendre compatible accès au logement et protection des espaces naturels. « Centu case vicinu ùn sò micca un paese, sì quand’ellu si more più nimu ùn la sà », chantait il y a quelques années le groupe Tavagna. L’urbanisme, au fond, n’est peut-être pas qu’une question d’offre et de demande.
Ce diagnostic suggère deux types de politiques : côté offre, prendre acte du déficit de logements sociaux et y remédier, côté demande, tenter de réguler la demande provenant des résidences secondaires et des meublés touristiques via des restrictions ou des taxes.
Mais qui peut penser qu’une telle régulation ne ferait que des gagnants parmi les résidents ? Les recettes engendrées par les locations de meublés touristiques profitent, au moins en partie, à des résidents, et bien qu’elles fassent, non sans raisons, grincer les dents des professionnels du tourisme, ce serait une grossière erreur de ne pas faire figurer leur diminution dans le décompte des coûts d’un durcissement de la politique touristique.
Soyons réalistes : s’il existait un remède qui ne fasse que des gagnants, au moins parmi les résidents, il aurait probablement déjà été administré. Mais au-delà des solutions purement économiques, comment ne pas interroger cette passion de nos contemporains pour l’habitat individuel mis en évidence plus haut ?
Sortant de notre domaine de compétence, risquons-nous à spéculer. On pourrait penser que l’air du temps soit à blâmer. Une époque d’individualisme exacerbé et de repli sur soi nous pousserait à fuir la vie en collectivité pour recréer, à l’échelle des villas et de leurs jardins, un sentiment d’appartenance que ne nous apportent plus la rue et la place du quartier ou du village. Mais l’urbanisme contemporain a-t-il vraiment œuvré pour qu’il en aille autrement ?
Qu’ils soient individuels ou collectifs, les nouveaux ensembles répondent souvent à la logique suivante : une municipalité décide d’autoriser la construction d’un ensemble de logements dans une zone jusqu’ici laissée en friche. Un promoteur privé s’occupe ensuite de l’aménager entièrement, y compris les espaces publics (chaussée, places de stationnement...).
Ceux-ci sont naturellement réservés aux riverains, et ne sont jamais pensés en continuité des rues existantes. Les quartiers nouvellement créés sont condamnés à la mono-fonctionnalité, avec une vie sociale réduite à une salutation polie à travers les fenêtres de la voiture de voisins qu’on connaît à peine.
Dans les centres anciens, les inconvénients de la vie en appartement sont compensés par la proximité de lieux de sociabilité. Est-ce encore le cas dans les nouveaux quartiers ? Si non, comment s’étonner que nos contemporains préfèrent l’option individuelle ? Et quelle fatalité empêche notre urbanisme de recréer des rues, des places publiques et de la multifonctionnalité, afin de redonner le goût du logement collectif ?
C’est une question qu’on ne pourra pas éviter si l’on espère sérieusement rendre compatible accès au logement et protection des espaces naturels. « Centu case vicinu ùn sò micca un paese, sì quand’ellu si more più nimu ùn la sà », chantait il y a quelques années le groupe Tavagna. L’urbanisme, au fond, n’est peut-être pas qu’une question d’offre et de demande.